Pour un nouveau réalisme économique de gauche.
Tout à coup, tout irait mieux. Il aurait suffi d’un plan de sauvetage, d’un Président en état de grâce, d’une Europe rassemblée pour stopper la crise et ramener le soleil. Les bourses reprennent de la vigueur, les traders sortent de leur courte déprime, les banques ont réussi à obtenir l’assurance de pouvoir socialiser leurs pertes colossales… Depuis dimanche, nous serions donc sortis de ce que le nouveau Prix Nobel d’économie qualifie au diapason des économistes les plus sérieux, de début d’un « méchant cycle de récession ». Les bourses, les traders, les banques retrouvent le sourire… Derrière ce triomphe, il y a le sort de millions d’hommes et de femmes, nus devant la crise, impuissant à renégocier les échéances de leurs dettes, impuissants à endiguer la dégradation de leur pouvoir d’achat, de leurs conditions de travail , de leurs conditions de vie tout simplement, il y a des millions d’hommes et de femmes qui s’apprêtent à recevoir une lettre de licenciement pour cause de délocalisation ou de cessation pure et simple d’activité.
Dans un élan de solidarité sans précédent, les nations du monde au prix d’un gigantesque effort financier, se sont portés au secours du système financier mondial sans que l’on sache aujourd’hui si l’appétit gargantuesque des marchés sera assouvi par l’engloutissement de milliards des dollars et d’euros. Les piliers du temple seraient à nouveau solides. Et les marchands pourraient y reprendre tranquillement leurs emplettes. Comme avant, sans remord, sans souvenir ni leçon du séisme de la veille.
Nous savons pourtant que :
Politiquement, absolument rien n’a changé dans la gouvernance de l’économie mondiale, les acteurs financiers ont simplement trouvé un mécanisme de réassurance, lui-même branché sur les marchés financiers – il y a donc une logique de cercle vicieux si ce n’est une belle arnaque.
Economiquement, des secteurs entiers peuvent être décimés dans les prochaines années, et des centaines de millions d’épargnants sont potentiellement concernés.
Socialement, les conséquences de la crise seront implacables pour l’emploi, le pouvoir d’achat, le marché du logement, l’accès au crédit, les systèmes de retraite par capitalisation… Où sont passés les défenseurs de droite et de gauche des fonds de pensions ?
Moralement enfin, plusieurs milliards de dollars ont été trouvés en quelques jours pour préserver le système financier, quand les Nations Unies consacrent 80 mds de dollars seulement par an aux objectifs du Millénaire de lutte contre la pauvreté.
Alors, pour répondre d’emblée à la question posée pour nos travaux : ce que doit proposer la gauche, en France, en Europe et dans le Monde, c’est un changement profond des règles du jeu, des réformes à la fois réalistes qui s’enracinent dans les causes objectives de la crise que nous subissons, et radicales car les enjeux sont énormes.
La crise actuelle valide notre critique fondamentale du capitalisme
Il faut se féliciter du fait que la crise actuelle ait permis une pédagogie sans précédent de l’analyse critique du capitalisme. Depuis longtemps, ceux qui critiquaient les dérives de l’économie libérale étaient taxés de gauchistes, de rétrogrades, au mieux de nostalgiques ou de rêveurs. Il n’y a pas d’honneur à avoir été des prophètes, pas même au sein du Parti socialiste… Lorsque l’on n’a pas su se faire entendre, c’est que l’on a en partie échoué. Mais ne laissons pas passer l’occasion de rappeler la permanence et la pertinence de notre critique du capitalisme :
La financiarisation du capitalisme est directement à la source la crise : l’argent créé ou échangé ne va plus principalement à l’économie réelle, donc à l’industrie, à l’emploi, à la création de ressources ou de biens de consommation, mais bien à la rémunération des détenteurs de capitaux. Même si la crise des « subprimes » provient du secteur du logement, ce n’est pas à un secteur économique en particulier que cela est dû, mais à la perversion d’un de ses principaux mécanismes de financement ; si le logement social existait aux Etats-Unis et s’il n’était pas remplacé par une course effrénée à la propriété financée par des crédits à risques, nous n’en serions sans doute pas là.
La déréglementation de l’économie de marché est la « seconde mamelle » de la crise : depuis plus de vingt ans, la pensée économique dominante est de « jouir sans entraves » ; l’arnaque principale est d’avoir réussi à faire croire que la déréglementation de l’économie, l’affaiblissement des mécanismes de contrôle et de solidarité, permettraient l’enrichissement du plus grand nombre et sans frais. La réalité de la crise nous montre l’inverse : si le niveau de vie a incontestablement augmenté sur la planète, la répartition des richesses est malheureusement de plus en plus inégalitaire, et les mécanismes de régulation échappent désormais pour l’essentiel à la responsabilité politique.
L’essor du « libre échange » au niveau mondial est venu parachever l’édifice : l’OMC vante la mécanique vertueuse du libre échange qui serait gagnante-gagnante. La course à la compétitivité entre les nations se déroule à coup de dumping social, dumping fiscal et dumping environnemental. Elle a pour principale conséquence de d’encourager la baisse des recettes publiques (comme démontrée en Europe par le cabinet KPMG sur la baisse tendancielle de l’IS dans le marché intérieur grâce à la concurrence fiscale) mais aussi de pousser la réduction du coût du travail et donc à la modération salariale. Dans le monde occidental, la pente est la même. En France, ce sont onze points de PIB qui ont été transférés de la rémunération du travail à celle du capital. Le rendement demandé au capital investi est devenu tel qu’il détourne la valeur ajoutée de l’investissement comme de la rémunération du travail. La principale conséquence sociale de ce phénomène est le développement d’une nouvelle forme de prolétariat constitué de travailleurs pauvres et de leur familles.
La crise actuelle est une crise du système, une crise du capitalisme
Nous assistons bien à une crise du capitalisme. Quelles en sont les caractéristiques ?
C’est une crise de liquidités : prudentes, méfiantes ou fragilisées, les banques ne se prêtent plus d’argent, et le manque de liquidités pour honorer des créances provoque des réactions en chaîne.
C’est une crise spéculative : à cause des spéculations à la baisse contre les valeurs bancaires, les banques voient leurs fonds propres se dévaloriser.
C’est une crise financière d’un type nouveau : l’accumulation de créances douteuses liées à la prolifération de produits financiers dérivés, ajoute un aspect surréaliste puisque les pertes sont pour une grande part d’entre elles de nature virtuelle.
C’est une crise qui condamne les modèles de régulation de nature privée voire corporatiste : les normes comptables aujourd’hui appliquées, qui valorisent les entreprises en fonction du cours du marché, condamnent les entreprises cotées dès lors que les marchés s’effondrent, même si leur activité productive est saine ; de leur côté, les agences de notation qui sont pourtant sensées se porter garantes, se sont en fait avérées incompétentes, aveugles ou consanguines ; d’autres normes comptables et une agence publique européenne de notation sont devenues essentielles.
C’est donc bien une crise du modèle capitaliste : il semble que nous ayons heureusement atteint les limites d’un système prédateur reposant sur la captation par le capital de la valeur ajoutée et sur une dérégulation à outrance, mais rien aujourd’hui ne permet de croire que l’issue de la crise débouchera sur une remise en cause profonde du système économique et financier.
Le plan européen est nécessaire mais il n’a pas d’autre but que de préserver le système
La conduite de SARKOZY face à la crise est à l’image de ses revirements successifs et de son agitation habituelle. Il critique les dérives des financiers américaines mais il n’avait de cesse, il y a à peine plus d’un an, de vanter les mérites du système américain de crédits hypothécaires. Il répond à l’urgence en prenant la tête d’une improbable unité européenne mais, et c’est le comble, Gordon BROWN l’avait précédé en proposant de faire jouer la garantie publique des Etats européens sur les prêts interbancaires et en fixant des contraintes sérieuses aux acteurs financiers. Surtout, il faut dénoncer les mensonges et les oublis du plan SARKOZY :
Tout d’abord, ce plan va coûter de l’argent au contribuable. Certes, ce n’est pas un plan financé à ce stade par les impôts, mais le choix du montage financier n’est pas inoffensif ni indolore : la recapitalisation des banques sera financée par l’emprunt, qui devra lui-même être supporté soit par les impôts, soit plus probablement par le déficit ; d’une manière ou d’une autre, ce plan aura donc un impact sur les contribuables voire sur les citoyens par ses conséquences en matière de services publics ou de dette publique. Plus que jamais, il faut dénoncer la politique fiscale du Gouvernement, désormais illustrée par le très injuste « paquet fiscal ». En 2007, 617 foyers fiscaux se sont vus rétrocéder par le Fisc un chèque moyen de 233000 euros. L’immoralité absolue d’une telle décision est rendue encore plus insupportable par la crise actuelle. L’unité nationale, chère à Mrs Fillon et Sarkozy commence par l’annulation pure et simple des mesures du paquet fiscal
Ensuite, ce plan ne protègera pas les Français de la récession qui va suivre. Au contraire, SARKOZY va poursuivre sa politique de démantèlement des services publics, qui seront pourtant essentiels pour permettre aux classes moyennes et populaires de supporter les conséquences de la crise ; nous saurons rappeler au Gouvernement qu’il sait comment trouver de l’argent lorsqu’il s’agit de préserver des acteurs financiers, mais qu’il y renonce facilement lorsqu’il s’agit de se soucier de la vie quotidienne de nos concitoyens. Il ne faut pas creuser bien profond pour débusquer l’imposture du discours de Sarkozy. C’est le même homme qui appelle au retour de l’Etat pour sauver les marchés qui dans le même souffle confirme la privatisation de la Poste et de la Banque Postale.
Enfin, le plan SARKOZY, c’est l’impunité et l’amnistie à l’égard de ceux qui ont fauté. Bien sûr, le locataire de l’Elysée nous a servi ses tirades contre les « voyous de la finance » mais en fin de compte, ce sont bien les « dettes de jeu » de ceux qui ont fauté qui seront effacées de l’ardoise, alors que les mêmes joueurs peu scrupuleux sont si intransigeants à l’égard de leurs clients au moindre découvert. Pour mémoire c’est le même Nicolas Sarkozy qui est intervenu pour que ‘Etat vide un peu plus ses caisse s de quelques centaines de millions d’euros pour dédommager Bernard Tapie, le même Nicolas Sarkozy qui voulait dépénaliser l’abus de bien social. En matière de vertu et de moralité on aurait rêvé pédigrée plus blanc.
Ce plan était donc sans doute nécessaire car il fallait des réponses techniques à la crise financière, mais il demeure insuffisant et mensonger. Ne laissons pas la droite en faire une victoire politique et un but en soi, car ce plan, surtout à l’échelle européenne, a pour seule vocation de permettre au système de renaitre. L’ambition de la gauche doit être d’aller plus loin, d’inventer autre chose, et elle doit le dire haut et fort.
Les réponses à cette crise doivent être au cœur de notre projet politique et du congrès de reims
Je plaide pour un nouveau réalisme économique de gauche. Comment croire que ceux qui dans les 20 dernières années, sont associés intellectuellement et idéologiquement à la marchandisation croissante de la société, au recul de la puissance publique et à la mise en retrait des mécanismes collectifs de solidarité seraient à droite comme à gauche les plus crédibles pour proposer une sortie de crise. Sans parler de modernité, c’est la crédibilité économique et politique qui a objectivement changé de camp. Je voudrai donc développer les principes de ce nouveau réalisme économique de gauche.
Cette politique devra tout d’abord reposer sur une autre ambition européenne, dont nous devons faire le cœur de notre prochaine campagne. L’unité européenne a été obtenue de façon poussive sur le plan de sauvetage. Il faut se souvenir des réactions invraisemblables de la Commission européenne appelant aux premiers jours de la crise au respect strict des critères du pacte de stabilité ou s’inquiétant de la comptabilité de la recapitalisation de Dexia avec le droit européen en matière d’aides d’Etat. Cette crise a aussi souligné quelques tares de la gouvernance économique de l’Europe qui faute de fédéralisme budgétaire, ne peut par exemple lancer un emprunt européen ni lever un impôt pour financer une caisse de recapitalisation européenne ; Alors faute de mieux, ceci a conduit les Etats-membres à suspendre discrètement l’application du pacte de stabilité pour se libérer des contraintes budgétaires, ce que nous sommes un certain nombre à demander au demeurant depuis longtemps pour pallier les insuffisances du budget communautaire.
Il faudra également un meilleur contrôle des activités bancaires et de crédit : la lutte contre les paradis fiscaux doit venir au premier plan de notre action internationale ; leur existence facilite les transactions les plus occultes et les plus risquées, notamment grâce au secret bancaire et aux règles fiscales appliquées. J’identifie quelques décisions prioritaires : le renforcement de la directive Epargne, la création d’une nouvelle taxe financière vers les territoires qui refusent de mettre en œuvre une véritable coopération fiscale et judiciaire ou la mise en œuvre d’un traité international qui impose la levée du secret bancaire à la demande des autorités compétentes. Par ailleurs, les conditions du crédit doivent être plus nettement encadrées pour ne pas engendrer de risques inconsidérés, ou au contraire pour en garantir l’accès.
Il faudra ensuite agir pour modifier la répartition des richesses : la crise financière n’est pas seulement due à la prolifération de produits dérivés toxiques. Elle trahit l’épuisement du modèle américain qui a creusé les inégalités. Alors que les hauts revenus augmentent régulièrement, les revenus des classes moyennes et modestes stagnent. La croissance de la période 2002-2006 ne pouvait être tirée que par leur endettement, alimenté par le crédit hypothécaire nourri par la machinerie financière aboutissant à titriser les créances toxiques achetées par les acteurs financiers du monde entier. Certes, le taux d’endettement des ménages français est encore relativement faible, mais la crise du pouvoir d’achat et la crise du logement conduisent déjà au surendettement de nombreuses familles. Il y a une urgence sociale et un impératif économique à mettre un terme à la modération salariale, d’autant que les profits n’alimentent plus l’investissement et sont en majorité consacrés à la rémunération d’actionnaires dont l’épargne a nourri les bulles spéculatives sur les marchés boursiers. C’est pourquoi la politique salariale doit conduire à l’indexation des salaires sur les gains de productivité et l’inflation.
On ne pourra échapper à la fixation des restrictions européennes au libre-échange : le libre-échange n’est pas étranger à la pression exercée à la baisse sur les salaires. C’est pourquoi le débat sur les restrictions au libre-échange, porté par OBAMA aux Etats-Unis, est plus actuel que jamais si la gauche entend favoriser les conditions d’une harmonisation vers le haut des normes sociales dans le cadre d’une coopération internationale. On le verra dans les prochains mois, lorsque des acteurs importants de l’industrie mondiale, par exemple dans le secteur automobile, connaîtront des difficultés considérables à cause des distorsions de concurrence. La « préférence communautaire » doit être au cœur de la politique industrielle de l’Europe, pas dans un but de protectionnisme étroit, mais pour faire payer aux producteurs « moins disant » le coût de leur « dumping social ».
Il nous faut une vision ambitieuse du développement de l’Etat-Stratège : le retour de l’intervention de l’Etat ne doit pas se cantonner à socialiser les pertes, en recapitalisant les acteurs financiers qui ont flambé en bourse l’argent des épargnants, pour privatiser ensuite le bien public. Les marchés financiers livrés à eux-mêmes se sont trompés. Il faut que la recapitalisation du système financier soit l’occasion de définir le périmètre d’un pôle public financier stable et solide. Celui-ci doit être mis au service de la politique industrielle, dans le cadre d’un développement durable. Le pacte de stabilité a d’ores et déjà été suspendu par l’Eurogroupe pour permettre aux Etats-membres d’emprunter. Il doit être enterré pour ne pas devenir l’alibi de la réduction du périmètre des services publics.
Il faut enfin retrouver la voie de la justice fiscale : une réforme fiscale doit être engagée pour éviter que le financement du plan de sauvetage ne pèse sur les revenus moyens et modestes qui subissent de plein fouet la crise du pouvoir d’achat. Le bouclier fiscal doit être levé. Il faut créer un grand impôt universel et progressif sur le revenu en fusionnant l’IR et la CSG. Il faut aussi rendre progressif l’impôt sur les sociétés et le moduler selon l’usage qui est fait des bénéfices.
Voilà, chers amis, des réponses qui me semblent être à la hauteur de la situation pour une gauche qui décomplexée, digne de son histoire et des attentes de nos concitoyens. La crise produit de drôles d’effets au Parti Socialiste. Les archaïques d’il y a quelques semaines sont devenus fréquentables. Il serait même recommandé de lire leur motion ou d’y puiser quelques arguments. Nous n’allons pas nous en plaindre. Nous ne prétendons avoir tout vu tout prédit et tout pensé avant tout le monde. Mais nous n’avons pas non plus l’impression d’être les plus en retard dans l’analyse de la crise et la formulation de réponses politiques. Rien ne serait pire pour le PS que son action se confonde avec celle de ceux qui veulent renflouer un système, sauver un monde qui s’éteint inexorablement. Il est l’heure de reprendre un monde d’avance.
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